vendredi 19 février 2010

Article ''Traite des Nègres'' – Chevalier Louis de Jaucourt.

Article ''Traite des Nègres'' – Chevalier Louis de Jaucourt.


Comment cet article de L'Encyclopédie dépasse le simple article de dictionnaire/encyclopédie pour devenir un texte critique et engagé ?


  1. De la définition à la dénonciation

  2. Les arguments servant à la condamnation de l'esclavage

    I. De la définition à la dénonciation.

A) Un article d'encyclopédie

texte informatif qui vise à l'objectivité : l'auteur de l'article doit aborder le sujet qu'il traite avec une certaine distance, hors de toute subjectivité personnelle.

plusieurs règles pour un article :

l 1.2 : entrée de l'article (signe typographique qui la fait apparaître)

utilisation entre parenthèses + italique : champ de référence

l.2 : ''c'est'' : présentatif_ formule classique pour une définition

l 3.4 : début de phrase qui reste descriptive

acteurs : ''nègres'' (l.2), ''européens'' (l.3).

CCL ''côtes d'Afrique'' (l 3.4) qui situe la situation

le substantif ''achat'' indique de quoi il est question (central)

l.4 : après la virgule, CCB qui est censé donner des explications. On peut penser à des données objectives or elle contient le nom ''malheureux''

L'engagement de l'auteur apparaît.


B) L'émergence de la subjectivité de l'auteur

(traces de jugement et de sentiment)

a) expression de sa compassion

''malheureux'', ''nègres'', ''esclaves'' : désignés trois fois dans la même phrase de façons différentes.

Devenus esclaves par le passage du commerce

''atroce'' (l.16), ''infortunés'' (l.25)

Compassion qui montre que Jaucourt joue sur le registre pathétique. On quitte alors l'objectivité de l'article.


b) expression de son indignation

''viole'' (l.6) renforcé par une énumération de COD forts : accumule la religion, la morale...

Volonté d'amplification

''crime'' (l.16) : désigne l'esclavage

On passe au registre polémique.


C) Un texte qui devient peu à peu un réquisitoire.

__crime évoqué

''crime'' (l.16) évoqué par la périphrase ''un commerce de ce genre'' (l.15) : péjorative, met à distance (''ce''), marque de jugement. Renforcés par ''atroce''.

''il n y a point'' : place l'esclavagisme au sommet de la gravité de tous les crimes. On pourrait légitimer tous les autres.

__l'accusé

''les Européens'' (l.3) : terme très général qui désigne tout ceux qui sont engagés dans ce crime, de près ou de loin.

''leurs princes'' (l.11) : ceux qui parmi ''les nègres'' vendent certains des leurs.

''les rois, les princes, les magistrats'' (l 16.17) : côté africain

''son prince, son père'' : enfants, sujets...vendus

''juges des pays libres'' (l.32) : revient aux Européens.

Côté européen aussi bien accusé que le côté africain. Accusation à différents niveaux : institutionnel / géographique. Plusieurs accusés.


__le droit évoqué par Jaucourt

l.9 : le droit de la guerre : fait référence à la justification des prisonniers de guerre. N'est pas utilisé dans ce cas; légitimation inacceptable. Pas de guerre avec le peuple africain.

l.24 : ''toutes les lois de l'humanité et de l'équité'' : utilisation du vocabulaire juridique. Valeurs humaines et morales.

Fait indirectement référence au Code Noir (dû à Colbert, disposition légale qui devait protéger les esclaves. Se retrouve à organiser les sanctions). Tout sauf humanité.

Règles humaines différentes de l'humanité, de l'équité.

Droit établi par les Européens. Échappe à toutes les lois universelles.

l.12 : ''prétendent'' associé à ''droit'' : disqualifie ce prétendu droit.

Jaucourt a donc convoqué le droit de la guerre et le droit des Européens. Illégitimes, ne tiennent pas. Il va utiliser comme référence une autre justice.

l 6.7 : ''religion, morale, lois naturelles, droits de la nature humaine''

l 15 : parle d'un principe de morale

l.24 : ''humanité''- ''équité''

fait référence à une justice universelle qui lui permet de condamner le droit mis en place par les hommes.

l.6 : la religion : ''Dieu'' veut échapper aux simples petites lois humaines.

Morale (l.6 – l.15) : doit être extérieure à l'homme indépendant.


Plusieurs fois dans le texte, Jaucourt essaye de relativiser les lois humaines face à des références universelles pour montrer que l'esclavage ne peut en aucun cas être légitimé. Il attaque la nature même de l'homme puisqu'il s'en prend à l'homme libre (essence de l'être humain).


II. Les arguments qui servent à la condamnation

Thèse de l'auteur : l'esclavage est une atteinte aux principes religieux, moraux. Il est contre-nature.

A) Le peuple noir considéré comme un objet.

l. 2 : ''achat des nègres'' / l.5 : ''cet achat de nègres, pour les réduire en esclavage'' : répétition dans deux phrases capitales du texte (définition / thèse de l'auteur). Insistance ''nègres'' : complément de ''achat''.

Insiste sur le processus de réification (chosifier) de l'être humain.

l.11 : ''on les achète'' : ''les nègres''en position de COD ''exposent'', ''transportent''

Esclaves considérés comme des simples choses/objets.

Comparaison : ''de la même manière que les autres marchandises''.

Validé (l.12) : prouve qu'ils sont considérés comme de simples biens marchands.

l.15 : condamnation de ''commerce'' + ''si'' : supposition qui met le commerce à distance de Jaucourt.

l.17 : ''ne sont pas les propriétaires''_''ils ne sont pas en droit de disposer''_''aucun n'a le droit de les acheter''_''ne sont point objets de commerce''_''ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés''.

Tout ce qui permet de transformer les Noirs comme objet commercial est nié par Jaucourt (catégorique avec ''aucun'')

l.23 : ''marchandise illicite'' : adjectif péjoratif / ''acquisition interdite'' : idem.

Notion de négation mais aussi d'illégalité.

Jaucourt les condamne au nom de la loi / morale.

l.29 : ''la vente est nulle en elle-même'' : attribut du sujet (mise en valeur) porte en lui la notion d'absence de valeurs.

Insiste à la fin du texte sur un système commercial qui est anéanti parce qu'il reposait sur la valeur marchande des Noirs. (Jaucourt vient de tout nier).


B) Le peuple noir considéré comme une humanité à part entière.

''ne sont point devenus'' : on ne naît pas esclave, on le devient. Esclavage contre-nature.

''ces malheureux'' (l.4)_''ces infortunés''(l.25) : appartiennent au registre pathétique + vocabulaire souffrance. Ne les désigne pas comme objets mais comme des êtres humains qui souffrent.

''volontairement'' (l.10) : adverbe de manière. ''dévouent'' (l.9). Pléonasme : insiste sur le fait que les êtres sont capables d'être libres de leur pensées, de leurs libertés. Associé à ''dévouer''.

Redondance qui montre qu'ils ne sont pas libres de leurs pensées : aboutit à la servitude. Évoque l'abus de pouvoir dont sont victimes les Noirs.

l.26 : ''qui n'ai droit d'être déclaré libre'' : Jaucourt veut proclamer la liberté comme un droit fondamental.

Affrontement : disqualifier esclaves (''prétendre'') / les défendre (''libre''). Subjonctif : probable mais pas réalisé.

''donc'' : conséquence + responsabilité des juges. Renforcé par le présentatif ''c'est''.

Les juges des pays libres peuvent renverser la situation (champ lexical de la liberté).

Comparaison : ''semblable'' / ''comme'' : les met sur un pied d'égalité (''âme'').

Note divine caractérisant l'Humanité.



L'Encyclopédie créée par les philosophes des Lumières n'est pas un dictionnaire qui se contente de donner des définitions. Les articles sont l'occasion de prises de position élogieuses ou critiques.

Dans cet article ''Traite des Nègres'', Jaucourt se saisit de la question de l'esclavage pour en dénoncer l'inhumanité pour accuser les responsables et pour provoquer le réveil de conscience des Européens.

Articles de l'Encyclopédie

Abolition de l'esclavage en 1848.


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